Comme je l’ai écris précédemment, Macron, c’est le social-libéralisme scandinave qui aurait réussi à s’implanter en France. Il l’a montré à plusieurs reprises. (Enfin, vu de l’intérieur, de France, vous le comprenez peut-être pas comme ça, mais moi j’ai vu de nombreuses choses qui ressemblaient à la méthode danoise.)

Donc je m’en vais vous décrire le marché du travail danois, pour que vous sachiez comment vous allez être mangé. Vous aller voir, c’est atroce (y a des viennoiseries au petit dej’. Affreux je te dis !)…

Le marché du travail danois est organisé, comme la société en général, autour de systèmes de négociations collectives et du consensus social. Ici, pas de clivage et de confrontations. Oui, il y a des grèves, mais ca reste anecdotique.

C’est aussi organisé de manière à ce que l’état intervienne le moins possible et seulement en tant qu’arbitre ou négociateur. Il ne grave rien dans le marbre, c’est pas One size fits all (comme en France, le CDI) et le système reste donc adaptable à toutes les situations et on peut s’arranger facilement.

Le système est conçu dans l’ensemble pour que, bon gré, chacun - syndicats, salariés, entrepreneurs, État - y trouve son compte et que le maximum de gens trouvent un emploi. Et que dans cette même majorité, la plus grande partie soient des boulots épanouissants.

Loi fondamentale du travail

Les différentes lois sur le travail définissent un cadre général à respecter (durée de repos minimale, durée considérée comme «temps plein», conditions des négociations collectives, durée et mesure des allocations chômage…).

En dehors de ça, tout reste négociable, que ce soit au niveau national, collectif ou individuel.

On peut donc considérer le code du travail danois comme une constitution du travail, indiquant les grands principes, droits fondamentaux et l’organisation générale du système. Les détails sont laissés dans d’autres lois ou dans le champs des négociations collectives.

Système de santé et de retraite

Le système de santé est payé par l’État. Les visites chez le médecin et les frais d’hospitalisation sont pris en charge par les impôts. Les médicaments eux-mêmes restent à la charge du patient. Pour des ordonances, il y aura reduction (payée encore une fois par la collectivité). Dans le cas de traitement lourd, il y a la plupart du temps payement collectif.

De même le système de retraite est double : il y a une retraite par répartition et une retraite par capitalisation.

Ca, c’était pour montrer que les salariés ne sont pas piégés par le système social, comme aux USA où certains restent dans une entreprise parce que la mutuelle d’entreprise couvre leurs frais de santé.

Des organisations professionnelles représentatives. Pas contestataires.

Ici, les syndicats sont appelés “associations professionnelles”. Et ca a du sens, car leur rôle est bien d’aider et représenter leurs membres au cours de leur carrière. Donc oui, assurer une protection vis-à-vis de l’employeur, mais pas seulement.

Et en particulier, ils ne constituent pas une force politique organisée pour influer profondément la politique nationale par la contestation ou la grève.

Ainsi, mon syndicat, IDA, est «la société danoise des ingénieurs». Il collecte des statistiques sur les ingénieurs (salaires et conditions de travail…), constitue un réseau professionnel et organise des conférences ou des formations. C’est également lui qui décide de la reconnaissance du «statut» d’ingénieur. À savoir que contrairement à la France, «ingénieur» peut ici correspondre à plusieurs niveaux de compétences techniques.

Si je veux pouvoir travailler comme ingénieur bâtiment à certains niveaux, il me faudrait me faire reconnaître comme «anerkendt statiker», soit «staticien reconnu». Et c’est auprès d’IDA que je pourrais obtenir cette reconnaissance. (Il s’agira de suivre un stage, prouver certaines compétences voire suivre une mise à niveau. C’est pas rien, mais pas impossible non plus, et surtout pas réservé à une élite).

Les syndicats ont également un poids politique, mais parce qu’ils questionnent et interrogent les choix nationaux dans leur domaines. Ainsi, IDA publie le journal Ingeniøren («L’Ingénieur»), où on décrit les dernières avancées techniques, mais aussi les choix énergétiques du pays. Il y a également eu dernièrement tout une série d’articles sur le choix du nouveau chasseur de l’armée de l’air…

Les syndicats d’enseignants sont très impliqués sur les reformes des systèmes éducatifs et font de nombreuses propositions dans ce sens.

Etc.

Dans la plupart des cas, les syndicas sont aussi une caisse d’assurance chômage (A-Kasse).

Dans mon cas, pas tout à fait, mais IDA et AKA (mon A-Kasse) collaborent si étroitement qu’ils ont les mêmes locaux. IDA a aussi marqué sur son site web qu’ils m’encouragent à faire partie de AKA et qu’ils partagent les informations me concernant avec eux (avec mon autorisation). Bon, vous avez bien compris, IDA et AKA, c’est la même chose, sauf qu’ils ont séparé les deux activités, certainement pour des raisons juridiques.

Le prix des cotisations est laissé au choix des organisations, mais déduis des impôts jusqu’à un plafond. Ainsi, pour autant qu’on choisisse un syndicat et une A-Kasse peu chers, le pouvoir d’achat ne s’en trouvera pas impacté. Par contre le niveau de vie s’en trouvera amélioré, puisque syndicat et A-Kasse apportent protection juridique, réseau professionnel, formations, etc.

Et on reste libre de changer d’organisme d’affiliation si on a de mauvaises expériences.

Si je suis au chômage, c’est la A-Kasse qui doit me verser mes allocations. Inversement, si je ne suis pas membre d’une A-Kasse, je ne recevrais pas d’allocations-chômage.

Négociation des accords collectifs

Tous les trois ans, les différentes organisations (syndicats d’employés et d’entrepreneurs) doivent renégocier un certain nombre d’accords professionnels ainsi que le degré d’augmentation des salaires minimums.

Parce que oui, il n’y a pas UN salaire minimum. Il y a DES salaires minimum. Qui sont en fait inscrits dans les conventions collectives. Et il existe de nombreuses conventions collectives, écrites par tel ou tel syndicat, suivant telles ou telles contraintes.

Lorsque je travaillais comme magasinier, j’étais payé au salaire minimum de l’accord collectif DI (Dansk Industri : le MEDEF danois) que mon entreprise avait accepté. Croyez-le ou non, mais cette convention est plus avantageuse que la convention collective écrite par 3F (syndicat des personnes peu-qualifiées) !

Il reste possible d’être payé en dessous des salaires minimums. Les bars par exemple n’ont la plupart du temps pas de convention collective. Donc pas de salaire minimum légal. En revanche il y a une sorte de salaire minimum de fait, qui tourne autour d’un peu moins de 100 DKK/h, soit 13 €.

Ces accords collectifs définissent notamment les niveaux des indemnités et les préavis de licenciement, la présence ou non d’une assurance santé (pour payer les médicaments et le reste des frais de santé) ou le payement de cotisations retraite à un fond de pension.

IDA a par exemple écrit un contrat-type pour les ingénieurs. Ce contrat met notamment l’accent sur l’accès à des moyens de communications professionnels (téléphone et ordinateur mis à disposition du salarié).

Formation professionnelle

Les Danois ont cette idée qu’il faut, tout au long de sa vie, continuer à se former et à apprendre.

Et il y a toutes sortes d’organismes de formation, et ce pour tous les niveaux et tout type d’éducation.

Ainsi, Folke Universitet (l’Université Populaire) propose des cours d’art, de langues, de sciences diverses, d’économie. Les cours sont donnés par des volontaires rémunérés (médecins, libraire, prof…) souhaitant partager leur passion.

Très souvent, en cas de période de chômage, on va proposer aux gens de suivre une formation dans leur domaine qui leur permettra de grimper d’un échelon. D’ailleurs le statut de chômeur donne droit à plusieurs semaines de formation professionnelle.

On envisage souvent les périodes charnières de la vie comme positives, comme une occasion d’entamer d’autres projets.

Mieux vaut travailler que rester chez soi.

Mieux vaut avoir un boulot pas terrible que rester chez soi, car avoir un job permet facilement de rebondir (donc il est admis que le boulot number one peut être chiant, mais que c’est bien pour décrocher le job number two). D’autre part, les échelons les plus bas du système d’allocations sont assez rudes pour les personnes qui n’essayent pas de chercher du travail.

Oui, le système est organisé pour que tous travaillent, et si possible, longtemps. L’âge légal de la retraite a été repoussé plusieurs fois. Pour autant, faut pas s’attendre à voir des vieux poser des briques ou distribuer le courrier. Ils seront plutôt à des postes d’encadrement, où ils peuvent transmettre leurs compétences.

Le système est adapté aux différents âges de la vie. Et le discours officiel, même à Droite, reste qu’on doit pouvoir s’épanouir dans son travail. On doit pouvoir contribuer par son travail mais aussi en retirer quelque chose. Quelque chose de plus qu’un salaire.

On peut s’arranger…

Par exemple, mon contrat de travail a commencé comme une sorte de période d’essai étendue. Moi ca me va : j’ai pû prouver ma valeur et mes compétences, et quand bien même ca n’aurait pas si bien marché, ca m’aurait fait une entrée, quelques contacts sur le réseau. Au bout de cette période d’essai, je suis renouvelé, et donc je peux par exemple déménager. Dans les faits, je pourrais quand même assez facilement être viré. Mais en même temps, je vois bien que j’ai aucune raison de l’être tant que je reste positif.

S’il faut détourner un peu le système, on peut s’arranger, du moment qu’on reste globalement dans les clous et qu’on abuse pas. Par exemple faire payer aux syndicats ou à la commune la formation X parce que l’entreprise n’en a pas les moyens.

Ou on accepte de payer les allocations chômage pendant qu’untel suit un stage. Le stage sera sûrement suivi par une embauche sur un an, voire définitive.

L’important est et reste que chacun puisse avancer suivant ses objectifs.

Autrefois…

Autrefois, quand PostDanmark était rouge (sic - ceci est une traduction directe d’une expression de mon chef)… il y avait des endroits où tu pouvais pas travailler si t’étais pas membre d’un syndicat.

Oui, ça fait un peu mafia, mais ça garantissait aussi que personne ne pouvait se comporter comme un électron libre et faire chier le monde. Au bout d’un moment, quelqu’un va te taper sur l’épaule, te pousser à la table (de négociations), te poser, plus ou moins brutalement, un café devant, et te dire que si tu rentres pas dans le rang, tu finiras persona non grata (et plus personne ne voudras travailler avec toi).
C’était aussi une garantie pour les syndicats de pouvoir vraiment négocier. Et ça garantissait aussi que tout le monde contribue et bénéficie du système de protection sociale.

Dans ces temps là aussi, on pouvait établir des accords comme ca :

  • On peut avoir 70 personnes à temps plein toute l’année. Mais il y a des moments où ils travailleront peu et d’autres où ils travailleront comme des tarés.
  • On peut aussi avoir 100 personnes sur temps de travail flexible. Ça veut dire 100 personnes aux temps forts et 60 personnes sur les temps creux. Avec des rotations sur qui travaille quand pour que tout le monde ait à peu près les même durées de travail annuelles.

Et les syndicats de répondre :

Ah Ok. Bah on va faire la deuxième, et on payera les gens au chômage technique, pas de soucis.

Aujourd’hui

Aujourd’hui, c’est quand même plus formalisé. Mais le principe reste fondamentalement le même, à savoir que de nombreux travailleurs saisonniers vivent sur les allocations chômage pendant une partie de l’année. C’est un peu hypocrite, mais c’est accepté.

Il y a aussi des cas un peu spéciaux. Par exemple Bornholm, île danoise sur la Baltique, à 150 Km de l’ile principale de Sjælland. L’endroit est quasiment coupé du reste de la société danoise. C’est un peu comme la Martinique quoi, en plus froid.
Cette île est très touristique. Donc du coup son marché du travail est très fluctuant.
Et certaines entreprises de hautes-technologies qui ont une charge de travail instable profitent de cet état de fait : leurs ingénieurs sont au chômage 30 % du temps. Et ces entreprises déclarent qu’elles ne pourraient pas fonctionner aussi bien dans d’autres parties du pays, où les horaires de travail sont plus constants.

La marine marchande (l’une des plus importantes du monde) bénéficie aussi de ce système social flexible.

Résultats

Donc au final…

  • La formation continue fait que les gens restent actifs longtemps, sur des postes de travail qui leur plaisent.
  • Les conditions de travail sont flexibles et adaptables à toutes les situations plutôt que fixées par une loi.
  • Quand ils ont un problème avec leur employeur, les Danois savent qu’ils ont un important filet de sécurité et qu’on ne va pas les laisser tomber.
  • Ce sentiment de sécurité, couplé à un optimisme général et des démarches hyper-simples fait aussi que beauoup de Danois n’hésitent pas à monter une entreprise (je connais un étudiant qui a monté une micro-entreprise de réparation d’iPhones).
  • Le système est à la fois plus libéral et plus social qu’en France.

Le tout donne un taux de chômage de 6,1 % en 2015 quand la France était à 10,4 %. Le pire moment des dix dernières années, c’était 2011 avec 7,6 %, un taux de chomage qu’on considérerait en France comme «bon».