J’ai participé il y a quelques temps au déroulement du vote à Aarhus.

Organisation

En premier lieu, comment ça se passe ?

Le Danemark a des élections locales (municipales et régionales), tous les quatre ans, le 3ème mardi de Novembre. Oui, ce jour là. Vous pouvez déjà réserver votre journée dans le calendrier si ça vous tente.

Chaque électeur reçoit une carte électorale par la poste, portant la localisation de son bureau de vote et à quelle table il devra se présenter.

Implication citoyenne

Comme presque tout évènement public danois, on va s’appuyer sur la très forte culture du bénévolat, à savoir qu’on va demander la participation de citoyens pour tenir les bureaux de vote, seule la “direction” étant assurée par des professionnels (employés municipaux). C’est cela aussi la démocratie. La municipalité d’Aarhus (et la plupart des autres communes danoises certainement) a ouvert une section de son site web pour permettre aux personnes qui souhaiteraient participer lors de cette journée de s’inscrire.

Il faut s’enregistrer avec son CPR et NemID (pour ceux qui ne savent pas, le CPR est un numéro d’identification national délivré à toute personne demeurant au Danemark de manière légale. Si vous vivez au Danemark, vous avez un CPR, et ce CPR référence votre adresse, vos numéros de téléphone, vos éventuelles affiliations syndicales, pour qui vous bossez etc).

Déroulement du scrutin

Tout d’abord les bénévoles doivent être présents environ une heure avant l’ouverture du bureau de vote, soit vers 7 heures. On nous explique vaguement comment va se dérouler la journée. Et on doit rester dans l’enceinte du bureau de vote jusqu’à ce que celui-ci soit validé.

Le scrutin démarre à 8 h avec le président du bureau de vote qui sonne une cloche.

Ici commence la vraie différence avec la France.

En France

Un scrutin en France est extrêmement codifié :

  • prendre des bulletins et une enveloppe
  • prouver son identité
  • signer un registre
  • rentrer dans l’isoloir et mettre le bulletin de son choix dans l’enveloppe

etc…

Jusqu’à la façon dont on doit mettre le bulletin dans l’urne (un scrutateur se tient devant vous, la main sur l’urne, l’urne a un compteur et lorsque le bulletin est passé le scrutateur doit dire de manière distincte “A voté”).

Une urne de vote française, transparente.
Rama, CC BY-SA 2.0 FR, via Wikimedia Commons

Plus tard, les opérations de comptage sont toutes aussi codifiées.

Ceci fait qu’il est assez difficile de se tromper dans le décompte des voix : chaque urne est bien identifiée et le nombre d’enveloppes et de votants comptés.

Au Danemark

Tout d’abord au Danemark, les tables de votes sont répartis suivant les noms des rues.

Chaque votant arrive devant la table qui lui est assignée, donne sa carte électorale et prouve son identité en indiquant sa date de naissance. On doit pouvoir demander une autre preuve d’identité, mais en fait, on ne le fait jamais. On a simplement pas besoin de plus.

Au passage, on inscrit le numéro du votant. Et on conserve la carte électorale. Le votant reçoit alors ses deux bulletins : un blanc pour l’élection municipale et un jaune pour la régionale.

Et on parle pas de bulletin de kékés hein !

Boum

Les bulletins de votes danois sont énormes.

En fait, c’est parce que les élections danoises fonctionnent selon un système préférentiel, dans lequel on peut désigner un élu particulier au sein d’une liste, ou juste voter pour une liste. Ainsi, pour toute la commune d’Aarhus, il y avait 200 candidats pour 31 sièges. Et tout le monde, de Lisbjerg à Viby, en passant par Aarhus centre et Sabro peut voter pour la personne ou le parti de son choix.

Les bulletins seront ensuite comptés suivant les partis ET les élus avec des votes personnels.

Une fois les bulletins remis, la personne peut alors se rendre dans l’isoloir. Le boulot “formel” des scrutateurs est ici terminé.

Quoi ? Mais, et tout le reste … L’enveloppe, le dépôt dans l’urne, le comptage en temps réel ?

Non. Rien de cela. Maiiiiissss…

Dans le secret de l’isoloir, le citoyen trace sa croix, fait son choix. Une fois ceci fait, il ressort de l’isoloir, le bulletin vaguement plié et va simplement glisser ce dernier, tant bien que mal dans l’urne en carton la plus proche. Le bulletin blanc dans l’urne communale et le jaune dans l’urne régionale. Seule concession au chaos qui va suivre le soir.

Les urnes au milieu de la salle.

Hein ?

Oui. Pas d’urne en verre transparente… Pas d’enveloppe…

Le bulletin est simplement trop gros, trop long pour qu’on sache à l’œil nu pour qui on a voté.

Et la présence de volontaires partout autour, permet de s’assurer que personne ne bourre une urne ou autre. Le scrutin reste public et aux yeux de tous, volontaires comme simples votants. Encore une fois, comme beaucoup de choses au Danemark, c’est assez informel. On ne se prend pas le chou, mais par contre on reste bien dans les clous.

On mange.

La commune d’Aarhus choie ses volontaires. Lors des diverses pauses, on a eu droit à café, thé, petit déjeuner (puisque les Danois prennent le petit-dej’ au boulot…), l’inévitable gâteau, repas de midi, du soir.

Y a pas à dire, on ne peut pas trop se plaindre.

Les votants arrivent par vagues, d’abord juste à l’ouverture avec les gens qui votent avant d’aller au travail, puis c’est assez tranquille jusqu’à midi à peu près, quand certains profitent de leur pause pour mettre leur bulletin dans l’urne, puis finalement la grosse vague du soir après le retour du boulot.

Et celle là, c’était gros.

On peut aussi reconnaître les gens quand ils arrivent:

  • la famille au grand complet. Le père, la mère, les enfants majeurs habitant toujours au foyer. Puisqu’ils se suivent dans le registre avec le même nom.
  • les jeunes en couple qui arrivent ensemble (ils habitent ensemble et se suivent dans le registre mais n’ont pas le même nom, ils se tiennent par la main).

Rester longtemps…

Le dernier votant rentre juste avant l’heure fatidique mais il va mettre 10 bonnes minutes à faire son choix.

Une fois son bulletin glissé, on va commencer à dépouiller. Et là commence une toute autre histoire.

Un chaos organisé … ou presque.

Vous vous souvenez des bulletins géants ?

Bon bah maintenant on va renverser les urnes en grands tas sur des tables et s’efforcer de trier tout cela.


Credits : Henning Bagger, Ritzau

Sans instructions. Alors pour commencer on va faire des piles de bulletins. Juste ça, des piles.

Enfin, sans instructions… Presque. On nous dit de trier ces piles. Suivant «Sociaux-Démocrates», «Venstre» (le parti de droite, mais qui s’appelle «Gauche» !) ou «autres». Génial comme directives hein.

Là je me dis que franchement, ça aurait pu être mieux.

Ah aussi… pas de distinction entre les votants de telle ou telle table vous vous souvenez… Donc en fait ça fait comme ci tout le bureau de vote n’était qu’une seule gigantesque urne. Et donc s’il y a des erreurs, difficile de voir où ça a raté.

Bon bah petit à petit, on s’y met :

  • Chacun prend un paquet de bulletins.
  • Cherche sur chaque bulletin où est la croix, s’il y en a une.
  • Pose le bulletin sur la pile la plus proche correspondant au groupe politique concerné.

Tout cela donc en marchant, courant, en essayant de ne pas gêner les autres. Chaotique.

Mais progressivement, commencent à grimper quelques piles …

  • Finalement des gens commencent à trier les piles «autres».
  • Enfin on finit par faire une pile pour chaque groupe politique.

Et enfin, on compte les piles. Pour se faire, on va faire des paquets de 25 bulletins, on met un élastique, et 4 paquets, ça fait 100, donc on met un autre gros élastique. Et comme on se rend bien compte que c’est très facile de se tromper avec ces immenses bulletins, on hésite pas à compter plusieurs fois chaque paquet, pour vérifier.

Cela c’est pour le tri de l’élection communale. On finit de trier ça à peu près vers 22h.

Le président du bureau de vote devant les bulletins municipaux. La première pile, au fond, ce sont les Sociaux-Démocrates. La suivante, les Conservateurs. Pas besoin de compter pour connaître les gagnants, du moins pour ma circonscription.

Puis on passe à l’élection régionale et là, comme on a pris le pli, on démarre direct en triant les piles suivant les partis politiques. Et ça va plus vite.

Le tri des bulletins. Laborieux.

Ainsi, petit à petit, on fait des piles. Puis on bascule sur le comptage, et voila que je me suis retrouvé responsable de compter les Sociaux-Démocrates. Mais ça juste «comme ça». Sans coordination. Enfin les responsables du bureau de vote demandent les chiffres pour chaque parti. Et chaque «compteur» donne ses nombres, veillant jalousement sur son tas de bulletins, parce qu’il ne faut pas les perdre hein.

Tout cela part dans un tableur Excel envoyé à la mairie. Vers 23h.

Puis on attend.

À 23h 50, on voit la responsable technique se tourner vers le président du bureau de vote, lui donner un téléphone.

Le vote est confirmé.

On peut rentrer chez nous. Juste avant minuit.

Il apparaît que c’est pas trop tard. Lors de l’élection précédente, les volontaires n’ont pu partir qu’à 1h du matin.

Et en plus c’est pas fini ! Parce que nous n’avons compté les bulletins que suivant les partis politiques. Les bulletins seront emmenés ailleurs et comptés cette fois ci suivant les votes personnels, à savoir combien de voix individuelles chaque élu a reçu, et le calcul des répartitions de sièges en fonction des bulletins «juste pour les partis».

La politique danoise est finalement assez bordélique en coulisses.