Janteloven, la loi de Jante en français, est un aspect important de la culture danoise. C’est une épée à double tranchants. Et comme beaucoup d’armes, elle blesse aussi bien celui qui la tient que celui qu’elle frappe.

Une paix … violente

J’ai toujours vu cette loi comme étant une violence imposée sur les individus parce qu’elle réprime l’individualité et l’expression des talents, l’écart à la norme. À chaque fois que j’y pense, je dois me forcer à me rappeler qu’elle a de bons côtés, cachés, qu’elle est moins stricte qu’elle en a l’air.

La loi est écrite sous la forme de dix commandements, à la manière des tables de la loi remises à Moïse. Elle peut se résumer à “N’imagine pas que tu sois quelqu’un de spécial.”

  1. Tu ne dois pas penser que tu es quelqu’un de spécial.
  2. Tu ne dois pas penser que tu es aussi bon que nous.
  3. Tu ne dois pas penser que tu es plus intelligent que nous.
  4. Tu ne dois pas t’imaginer mieux que nous.
  5. Tu ne dois pas penser que tu en sais plus que nous.
  6. Tu ne dois pas penser que tu es plus important que nous.
  7. Tu ne dois pas penser que tu es bon à quoi que ce soit.
  8. Tu ne dois pas rire de nous.
  9. Tu ne dois pas penser que quiconque se soucie de toi.
  10. Tu ne dois pas penser que tu peux nous apprendre quoi que ce soit.

Lumière sombre

Cette loi, plutôt une norme sociale et culturelle, a été écrite de manière formelle seulement en 1933 dans un roman. Elle montre l’importance du groupe sur l’individu, de la coopération sur la compétition. Ici, dans les pays nordiques, on apprend en premier à travailler en groupe.

Cette loi vient d’un temps où tous, fermiers, artisans, ouvriers, dépendaient les uns des autres. À cette époque, essayer de sortir de son groupe, de son clan, de sa classe sociale, était vu comme renier la communauté, mordre la main qui te nourrit.

Se vanter de ses succès, de ses réussites, est vu comme arrogant et peu digne de confiance. Au contraire, on valorise la compétence, la modestie et la capacité à s’intégrer, à travailler dans et pour le groupe. Et celui qui met en avant ces qualités sera alors valorisé.

Ainsi, cette loi dit bien :

Tu n’es rien sans nous. Tu fais partie du groupe et nous avons besoin de toi. Car ensemble, nous sommes plus forts.

Une morale à lire entre les lignes

Cette loi avec son emphase sur le travail en groupe, pousse les enfants, et plus tard, les adultes, à travailler dur, à ne rien considérer comme acquis et à collaborer pour atteindre des objectifs impossible à atteindre seul.

Les Danois aiment aussi se voir comme des égaux et de ce fait, non comme une menace (pour leur situation professionnelle principalement). Probablement l’une des raisons pour lesquelles le Danemark est une société de confiance et une société apaisée. Également au travail.

Elle pousse aussi à davantage apprécier les choses simples de la vie plutôt que chercher richesse et gloire.

En dépit de son apparente négativité, cette loi implique l’existence d’un réseau social intrinsèque, prêt à l’entraide, à aider ou portéger les plus faibles, car pour que le groupe avance, pour que le groupe résiste, il faut que tous résistent. Y compris les plus faibles.

La loi et l’ordre

Janteloven est probablement l’une des raisons, parmi tant d’autres, qui font que la Scandinavie est une régions les plus sûres et les plus pacifiques sur Terre.

Ici, pas émeutes dans les rues, pas de chaos social. À cause, grâce à cette société égalitaire. Pas vraiment de lutte des classes mais bien une énorme classe moyenne, qui constitue bien le fondement des démocraties équilibrées. Et l’importance, pour tous, de travailler dur, d’avoir un salaire décent, de se former tout au long de sa vie, d’avoir confiance en son prochain et respecter les règles.

Pas étonnant que les Scandinaves attendent que le bonhomme soit vert pour traverser.

Les immigrants seront toujours un peu… à part.

Janteloven est tellement importante que de nombreux citoyen·ne·s ordinaires, et les politicien·ne·s qu’iels soutiennent la mettent en avant lors des débats sur l’immigration. Les immigrants, pour s’intégrer, doivent l’assimiler. Et donc elleux-mêmes aussi. Un peu.

Pourtant, qu’importe à quel point un·e immigrant·e parlera bien danois, à quel point iel adoptera les coutumes locales, iel sera toujours un peu différent.

Aujourd’hui…

Janteloven a moins d’importance aujourd’hui, mais elle reste un des piliers des sociétés nordiques.

Davantage de gens se marient hors de leur classe sociale, ou grimpent l’échelle sociale.

Mais Janteloven y est peut-être pour quelque chose, puisque, comme la loi le dit, on ne doit pas travailler les uns contre les autres, mais bien les uns avec les autres. Et donc c’est la société qui, en bloc, améliore le niveau de vie de chacun et de fait, forme aujourd’hui cette large classe moyenne qui écrase tout de son poids.

Janteloven est une forme de contrôle social. Moins évident aujourd’hui. Mais les États-Providence nordiques actuels, avec leurs impôts élevés et leurs syndicats puissants, peuvent être considérés comme une mise en œuvre moderne de ce contrôle social et de ce filet de sécurité sociale.

Néanmoins, la loi reste si importante que certaines personnes s’abstiennent d’exprimer certains talents ou espoirs à cause de cela.